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Algérie: Le « passé nucléaire » français ne doit plus rester enterré dans le Sahara

Le « passé nucléaire » ne doit plus rester profondément enterré dans les sables du désert. Il est de la responsabilité de la France et de l’Algérie d’agir. Opinion.


Le site d'In Ekker, en 2011 | Photo: Bruno Hadjih.

Soixante et un ans après le premier essai nucléaire de la France, le 13 février 1960, dans le Sahara, les populations s’interrogent sur certaines maladies. Les déchets radioactifs sont toujours enfouis et l’environnement reste durablement atteint. Le « passé nucléaire » ne doit plus rester profondément enterré dans les sables du désert. Il est de la responsabilité de la France et de l’Algérie d’agir.

Les autorités politiques et militaires françaises ont attendu près de 50 ans avant de reconnaître publiquement les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires atmosphériques et souterrains réalisés entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996, au Sahara algérien puis en Polynésie française.

À force d’action, de recherche, de plaidoyer d’organisations de la société civile, la France a dévoilé un grand nombre d’informations qui ont permis de mieux connaître et comprendre l’histoire des différents sites d’essais nucléaires. Mais, il reste indéniablement encore de nombreuses interrogations et raisons politiques qui expliquent pourquoi nous ne pouvons et ne devons pas clore ce chapitre. C’est dans ce cadre que l’étude « Sous le sable, la radioactivité ! » a été publiée en août 2020. 

Face à ce sujet et une relation franco-algérienne complexe, il est vital de savoir de quoi nous parlons. L’affect ne doit pas prendre le pas au risque de bloquer toutes futures avancées. Comme nous l’avons écrit dans cette étude, notre travail s’inscrit dans une volonté de dialogue pour résoudre une problématique humanitaire et environnementale.

La France a réalisé au total 17 essais nucléaires entre le 13 février 1960 et le 16 février 1966 dont 4 furent aériens (les « Gerboise ») sur la zone de Reggane et 13 souterrains dans la région d’In Ekker, au cœur de la montagne du Taourirt Tan Afella. Un élément important est à savoir : 6 essais furent réalisés alors que l’Algérie était une colonie française et 11 furent réalisés, après le 18 mars 1962, soit en territoire indépendant algérien.

C’est une particularité importante à mentionner. Les autorités algériennes de l’époque étaient–elles en faveur de ces expérimentations nucléaires ? Difficile de le savoir, mais nous pouvons probablement présumer que dans le cadre de la négociation des accords d’Evian, la France n’a pas laissé le choix aux négociateurs algériens au risque que la guerre se poursuive. Les militaires français quittent les sites d’essais en 1967, sans véritables actions de démantèlement et d’assainissement des zones d’essais. La France conserve encore une base d’essais d’armes chimiques à B2-Namous jusqu’en 1986.

Nous savons qu’au moins 4 essais souterrains (Béryl, Améthyste, Rubis, Jade) n’ont pas été totalement contenus ou confinés, entraînant la libération dans l’environnement de gaz, aérosols et de laves radioactives.

Par ailleurs, sur la base des documents secrets défense et témoignages, la France a pratiqué une politique d’enfouissement dans les sables de tous les déchets contaminés par la radioactivité dès le début des expérimentations nucléaires. Par déchets, il faut entendre aussi bien des chars, des avions et autres superstructures de navires de guerre utilisés pour observer leur comportement, devant les effets de souffle et de chaleur lors des explosions, que du petit matériel (outillages, vêtements, …) et des kilomètres de câbles (probablement désormais récupéré malgré le danger radioactif, faute de sensibilisation des populations aux dangers).

Dans cette catégorie, nous devons aussi ajouter « des cuves en acier bétonnés » contenant des « pastilles de plutonium » utilisées dans le cadre des 35 expériences (ces actions n’ont pas provoqué de dégagement d’énergie nucléaire et ne sont donc pas des essais nucléaires) dites Augias et Pollen. Enfin, il faut inclure une seconde catégorie, laissée en grande partie à l’air libre, mais dont une petite partie a été enterrée. Ce sont les matières radioactives issues des explosions nucléaires. Nous parlons ici de sables vitrifiés, de galettes, roches et laves radioactives qui ont été créés par les différents essais nucléaires atmosphériques, ainsi que par les essais nucléaires. 

L’adoption de la loi française (5 janvier 2010) relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires (dite loi Morin, du nom du ministre de la défense de l’époque) autorise entre 1960 et 1966 toute personne ayant résidé dans les zones autour des sites d’essais et qui souffre d’une maladie radio induite « résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants » dus aux essais d’obtenir une indemnisation.

Malheureusement, en raison de complications administratives, d’obligations de prouver une présence (via des documents tel un contrat) comme une absence d’information de ce droit en langue arabe, seulement 49 personnes résidant en Algérie au moment des essais ont déposé un dossier (sur un total de 1 598 dossiers comprenant des Français de métropole et des Polynésiens) auprès du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Nous devons relever que seule une personne qui réside en Algérie a bénéficié d’une indemnisation. Ceci est anormal.

Désormais tout est entre les mains des deux gouvernements. L’État responsable de la situation radiologique doit absolument remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où ont été enfouis des déchets contaminés ainsi que, pour chacun d’eux, la localisation précise, un descriptif de ce matériel, de même que la nature et l’épaisseur des matériaux de recouvrement utilisés. Cette demande a été soulignée par l’historien Benjamin Stora qui a remis au président Emmanuel Macron (20 janvier 2021), son rapport sur « la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie ». Il a en effet repris les recommandations issues de notre étude. Il n’est plus possible d’attendre, il en va de la responsabilité politique directe de l’actuel gouvernement français. 

L’Algérie a, de son côté, un double rôle à réaliser. Sur le plan national, la communication auprès des populations sur les mesures de protection sanitaires, et la surveillance des sites d’essais doit être renforcée. Des enquêtes sanitaires sur le risque transgénérationnel devraient être aussi rapidement lancées ; car on le voit en Polynésie, les maladies radio induites ne se limitent pas à une seule génération. Enfin, il est important que l’historien Abdelmadjid Chikhi, nommé par Alger (juillet 2020) rende aussi son rapport sur « la mémoire entre l’Algérie et la France », pour que puisse être définie une feuille de route commune comme se sont engagés les présidents Macron et Tebboune.

L’Algérie doit également s’appuyer au niveau international sur le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) pour résoudre ces problématiques environnementales. La diplomatie algérienne fut très largement impliquée dans la création de ce traité et sa réussite. C’est ainsi en partie grâce à son action que le sujet de la réparation des dégâts provoqués par les essais nucléaires a été intégré (article 6 et 7) dans ce texte. Mais, il est nécessaire pour s’appuyer sur ce droit international qui est en vigueur depuis le 22 janvier 2021, qu’Alger ratifie ce traité. Ce sera un levier fort pour engager des actions avec le soutien de la communauté internationale ou des organisations comme le Comité international de la Croix-Rouge.

Il existe une certitude, les obstacles à surmonter pour mettre fin à plus de soixante ans de secrets et de tabous entre la France et l’Algérie sont encore nombreux. Mais rester dans le statu quo serait une offense aux victimes passées, présentes et futures. Est venu le temps de l’action politique pour Paris et Alger afin d’enclencher des processus techniques et sanitaires auprès des populations civiles.