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Flotille “Global Sumud”: une odyssée populaire au cœur de la Méditerranée

Douze navires maghrébins ont pris la mer depuis la Tunisie au sein de la flotille « Global Sumud »; mobilisation historique pour lever le blocus sur Ghaza. Entre problèmes opérationnels et logistiques, menaces de drones et ferveur populaire, une traversée méditerranéenne s’écrit au nom de la solidarité des peuples.


Depuis son coup d’envoi le 31 août à Barcelone, la Global Sumud vit une traversée faite de promesses et d’épreuves. Partie d’Espagne avec plus d’une douzaine de navires porteurs d’un message clair — briser symboliquement le blocus de Ghaza, là où les États échouent à le faire —, elle a rapidement élargi son ancrage en Méditerranée.

Après un retard provoqué par le mauvais temps, la flottille a accosté en Tunisie le 7 septembre, faisant du pays le cœur logistique du départ de ses composantes maghrébines et mondiales. Elle a ensuite dû affronter de nouveaux problèmes : deux attaques de drones, que les organisateurs attribuent à Israël, sont venues s’ajouter aux problèmes techniques et à une météo défavorable.

Ce n’est finalement que dans la nuit du 15 au 16 septembre qu’une vingtaine de bateaux — principalement des navires européens, dont le Family, bateau coordinateur de la flotille — ont quitté les eaux territoriales tunisiennes.

Une mobilisation historique

Au total, près de 30 embarcations transportant plusieurs centaines de participants venus de plus de 44 pays — militants, députés, médecins, journalistes, mais aussi des figures connues comme Mandla Mandela, petit-fils de Nelson Mandela, l’ancien président du MSP Abderrazak Makri, la députée franco-palestinienne Rima Hassan, la parlementaire indonésienne Wanda Hamidah, ou encore l’activiste suédoise Greta Thunberg — ont quitté les côtes tunisiennes au terme d’une semaine mouvementée.

Les ports de Bizerte, de Gammarth et de Sidi Bou Saïd ont vu défiler les départs maghrébins au compte-gouttes. À ce jour, douze navires maghrébins battent pavillon en mer : Majena (Hind Rajeb), Alaa Eddine, Allacatala, Mia Mia, Amsterdam (Sultana), Mali (Deir Yassin), Assia, Metak (Malek Essoughayer), Omar al-Mokhtar, Adajio, Tikeau (Bab el Magharibiya), Kayssar (Sumud), Yamen (Yasser Jradi).

Deux autres bateaux, les X1 et Qmar, pourraient encore lever l’ancre depuis Sidi Bou Saïd dans les prochaines heures. Les mécaniciens tentent d’y apporter les derniers ajustements même si la mer semble assez agitée.

Les embarcations ont pris la route du nord, passant au large de Kélibia vers la Sicile, puis vers Malte, pour rejoindre dans les eaux internationales les autres composantes de l’initiative, celles de Thousands Madleen et de la Global Movement to Gaza, dont 18 navires partis de Catane, en Italie. De nouveaux départs sont attendus depuis la Grèce, ainsi qu’un bateau libyen supplémentaire depuis Tripoli.

Des difficultés à répétition

L’épopée n’a rien eu d’un long fleuve tranquille. Dès Tunis, plusieurs bateaux n’avaient pas pu amarrer sur les quais tunisiens, faute de papiers administratifs en règle. Les difficultés se sont multipliées : problèmes de carburant, lenteurs dans les autorisations portuaires et pannes mécaniques en série. Plus d’une douzaine d’embarcations achetées localement sont finalement restées à quai.

La flottille évolue également sous haute tension sécuritaire. En Méditerranée, plusieurs bateaux ont rapporté avoir été survolés par des drones de reconnaissance durant les deux derniers jours.

« La nuit dernière, nous avons vu un drone passer juste au-dessus de nos têtes », raconte un membre de l’équipage du Mali (Deir Yassin), l’un des quatre bateaux algériens de la flottille. Si les embarcations maghrébines de la Global Sumud n’ont pas été directement visées, le spectre des précédentes attaques israéliennes — comme contre le Mavi Marmara en 2010 et le Conscience en mai 2025— hante toujours les équipages.

Cependant, ces difficultés n’ont pas entamé la détermination des volontaires. Chaque départ depuis les ports s’est transformé en scène d’émotion brute : familles, militants et habitants se massaient sur les quais, brandissant des drapeaux palestiniens, drapés de keffieyhs, certains en larmes, d’autres entonnant des chants de résistance.

Les slogans “Ghaza el-izza !” et “Free Palestine !” résonnaient dans la nuit, tandis que les équipages, parfois après des veillées entières passées à charger matériel et vivres, quittaient le port sous les fumigènes et les applaudissements. Ces instants mêlaient ferveur, tension et larmes d’espoir.

Une mosaïque de mémoires et de luttes

Avec douze navires en mer, la participation maghrébine s’impose comme un pilier de la Global Sumud Flotilla. La délégation algérienne, menée par la Coordination populaire algérienne pour la libération de la Palestine de Merouan Ben Guettaia, a réussi à mettre en mer trois bateaux: Amsterdam (Sultana), Mali (Deir Yassin) et Tikeau (Bab El Maghariba). Le quatrième bateau algérien, dénommé Assia, est une initiative indépendante de la Coordination de Ben Guettaia, menée par le parlementaire algérien Youssef Ajissa. En tout, une vingtaine d’Algériens sont répartis sur huit bateaux.

Chaque embarcation incarne une mémoire ou un symbole. Le Deir Yassin convoque le souvenir du massacre de 1948, matrice de la Nakba et rappel permanent de la violence fondatrice de l’occupation. Le Hind Rajeb porte le nom de l’enfant palestinienne tuée en 2024 à Ghaza, dont la mort a bouleversé le monde, inscrivant dans la flottille la mémoire vive des crimes les plus récents. L’Omar al-Mokhtar fait résonner la résistance libyenne à la colonisation italienne, symbole d’un Maghreb qui n’a jamais cessé de lutter contre l’oppression.

La flotille Global Sumud, en reliant Barcelone, Bizerte, Tunis, Catane, compose une géographie nouvelle de la solidarité qui démontre la capacité des peuples du monde à se mobiliser malgré les incertitudes et les pressions. Elle relie les résistances contemporaines et l’élan d’une solidarité transnationale qui refuse la normalisation de l’horreur.

Cette traversée, risquée et encore incertaine, résonne avec l’urgence de la situation. Plongée dans un génocide et une apocalypse humanitaire, Ghaza est en ruine et plus de 680 000 ont déjà perdu la vie en deux ans. C’est à cette tragédie que répondent, depuis les ports de Méditerranée, ces navires frêles mais porteurs d’une force symbolique et politique immense.