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Twala suspend ses publications en protestation contre l’arbitraire


Malgré l’intérêt qu’il a suscité aussi bien en Algérie qu’à l’étranger, l’avenir de Twala est compromis. Faute de moyens pour assurer son fonctionnement, le journal suspend ses publications jusqu’à nouvel ordre.  

Média indépendant, Twala s’est appliqué depuis son lancement à offrir un journalisme aux standards de la profession, réhabilitant le reportage, l’enquête et l’analyse. Nous étions conscients dès le départ que cela nécessitait des investissements lourds.  

Nous avons opté pour un modèle hybride basé sur la vente d’abonnements numériques et un appoint publicitaire. Nous pensions qu’il était possible d’assurer la pérennité d’un média libre en limitant la composante publicitaire dans l’équation de son indépendance.

Nous nous sommes fixés un objectif de 5000 abonnés à atteindre au bout de la première année alors que le potentiel pour un média bilingue est immensément plus grand dans un pays qui compte vingt-six millions d’internautes et dix millions de cartes de paiement électronique en circulation. Mais, nous avions sous-estimé la force inertielle de la bureaucratie.   

La Poste, qui dispose de 80% des cartes en circulation, bloque l’interopérabilité des systèmes de paiement depuis seize mois pour des raisons occultes. Aussi, notre demande d’ouverture d’un compte courant postal (CCP) est-elle restée sans suite. C’était avant que le gouvernement n’interdise l’ouverture de ce type de compte pour les personnes morales. En d’autres termes, les huit millions de détenteurs de la carte Edahabia ne peuvent pas s’abonner à Twala.

Les banques hésitent à intégrer les systèmes de paiement internationaux faute de web-marchands en nombre suffisant pour rentabiliser de tels investissements. Visa vend aux banques le ticket d’entrée à son système à 500 000 euros sans les licences des logiciels qui vont avec. A ce jour, aucune banque de droit algérien ne dispose d’une solution de paiement en devises.

La moitié de l’audience moyenne de Twala se trouvant à l’étranger (50 000 visiteurs uniques par mois) et s’y connecte plutôt depuis des pays où le paiement électronique est démocratisé, cette tergiversation est fortement pénalisante. Cela signifie que les lecteurs de Twala à l’étranger ne peuvent pas souscrire à un abonnement. Cela prive également beaucoup d’autres Algériens de gagner de l’argent en devises et de s’autonomiser par rapport à l’économie rentière.   

Huit mois après avoir lancé le journal et cinq mois après avoir érigé le paywall, nous n’avons cumulé que 300 souscripteurs. Notre module de paiement ne fonctionne qu’avec les cartes CIB dont l’implémentation n’était pas une partie de plaisir. Ce fut une bataille bureaucratique de six mois.

Quant aux annonceurs, et si beaucoup d’entre eux sont à la recherche de supports valorisants pour diffuser leurs publicités et si l’attrait de Twala auprès de ces annonceurs est manifeste, ils souscrivent à l’arbitraire de peur de représailles. Ils exigent désormais un « certificat d’enregistrement » que le ministère de la Communication délivre illégalement à ceux qui le sollicitent.

Aucune loi ne confère ce pouvoir d’agrément à ce ministère et nous refusons de servir de caution. Et, nous refusons de nous soumettre à cette règle arbitraire formalisée par un décret anticonstitutionnel. A ce titre, la censure qui a frappé notre média au mois de décembre 2020 fut un signal adressé aux annonceurs téméraires qui oseraient afficher leurs marques sur Twala.

Vous n’êtes pas sans savoir que les lois algériennes interdisent les mécanismes philanthropiques internationaux à financer les médias en Algérie. Ainsi, elles les privent d’importantes ressources potentielles facilement mobilisables. Si Twala est en mesure de trouver des financements étrangers, le faire exposerait le média à des sanctions.

Cette chape de plomb faite d’arbitraire, de lois scélérates et de règles opaques qui organisent la paupérisation des médias indépendants, ne favorisent pas l’exercice libre de la profession.   

Certes la conjoncture économique est difficile pour tous. Nous n’avons pas lésiné sur l’effort. Nous sommes conscients de l’importance d’un média de qualité dans l’enfer politique que nous vivons en ce moment en Algérie mais, nous, associés de l’entreprise éditrice de Twala, tous journalistes, n’avons pas les moyens pour continuer à financer son existence. 

Tous ces problèmes ont été largement abordés par notre média tout au long de son existence. Ils ne pénalisent pas uniquement l’entreprise éditrice de Twala mais, tous les médias ainsi que les web-marchands. Il s’ajoute au climat de répression des journalistes et des médias indépendants qui s’est intensifiée depuis quelques mois.

Dans ce contexte, nous journalistes de Twala, suspendons notre activité jusqu’à nouvel ordre et revendiquons la mise en œuvre de l’interopérabilité des systèmes de paiement qui ne nécessitent en réalité qu’un clique et qui est opérationnelle pour les distributeurs de billets. Nous demandons aussi l’abrogation pure et simple du décret exécutif n° 20-332 du 22 novembre 2020.

A travers la suspension de ses publications, Twala entend aussi dénoncer l’arbitraire et appelle par la même occasion à la libération inconditionnelle et à la réhabilitation de notre confrère Rabah Kareche mis en détention provisoire pour ses écrits journalistiques.

Beaucoup d’autres confrères subissent un harcèlement judiciaire et policier, notamment ceux de Radio M. Nous dénonçons ces dérives et appelons la communauté à protéger les journalistes dans l’exercice de leur profession.