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Les Algériens face à la pandémie : à Oran, une première étude souligne la mobilisation des habitants.

Dix mois après l’apparition du Covid-19, on sait encore peu de choses sur l’impact de la pandémie en Algérie. Les Algériens se sont-ils dirigés vers les hôpitaux ou ont-ils tenté de se débrouiller seuls ? A Oran, l’enquête de Mohamed Mebtoul montre une prise de conscience et une mobilisation des habitants.


Il explique avoir été « exaspéré » par la façon dont, dans les discours médiatiques, le comportement des Algériens face à la pandémie a rapidement été qualifié « d’inconscient ». Mohamed Mebtoul, fondateur du département d’anthropologie de la santé à l’université d’Oran, et désormais retraité, habitué des recherches sur les comportements sanitaires, estimait au contraire avoir perçu une réelle mobilisation. Il mène alors bénévolement une étude sur le comportement des habitants d’Oran face à cette pandémie, avec l’aide de l’association SDH et de l’observatoire régional de la santé d’Oran. Un rapport préliminaire de recherche a été publié en août et présenté en décembre au Centre d’études maghrébines en Algérie lors d’une visio-conférence.

Le premier axe d’analyse de l’étude concerne la façon dont les habitants se sont informés. « Ils opèrent une hiérarchisation de la source d’information, accordant plus de crédit et donc de confiance aux informations émises par les proches parents (médecins, grand frère, père etc.), évoquant pour d’autres, l’importance des réseaux sociaux. L’information diffusée par les médias publics et privés audiovisuels est superficiellement prise en compte », explique-t-il.

Producteurs de soin

Les habitants interrogés ont, pour la plupart, mis en place des stratégies d’isolement, se disant conscients que « qui dit malade, dit décès », car « le système de santé est défaillant ». Ces stratégies d’isolement vont de pair avec des actes de solidarité : une veuve interrogée dans le cadre de l’étude explique que son fils, inquiet pour sa santé, a arrêté de venir la voir mais lui a offert un smartphone, afin de pouvoir faire des appels vidéos quotidiens. Parallèlement, des jeunes du quartier de cette dame, la sachant isolée, ont proposé de faire les courses pour elle tous les jours pendant le mois de Ramadhan. « Les gens ne sont pas consommateurs de soin. Ils le produisent », souligne Mohamed Mebtoul.

Le rapport souligne enfin que le confinement a été vécu douloureusement, notamment car il a suscité de l’ennui et a été producteur de stress supplémentaire. Par ailleurs, les personnes interrogées semblent très conscientes du fait que la manière de gérer le confinement était intimement liée au niveau de vie. Pour autant, paradoxalement, l’étude montre que les personnes interrogées ne comprennent pas le choix des autorités de l’imposition d’un « couvre-feu », qu’elles n’assimilent pas à un confinement, et qu’elles sont plutôt favorables à un confinement total, à durée limitée, permettant ensuite de reprendre une activité.

Mohamed Mebtoul explique que la gestion de la pandémie a suscité une « incompréhension indignée » puis de la défiance. « Notre recherche montre clairement que les personnes ont été déroutées par les multiples fluctuations dans la gestion de la crise, en usant de cette métaphore : « Il ferme, il ouvre et referme certains commerces » », explique -t-il.

« La gestion de la pandémie est identifiée à des injonctions conjoncturelles orphelines d’une stratégie explicite, transparente et élaborée dans un souci pédagogique. Celle-ci aurait permis aux populations de l’intérioriser, d’accéder à son appropriation de façon active en se reconnaissant dans les mesures prises par les pouvoirs publics. L’absence d’ancrage des pouvoirs locaux dans la société, efface tout dialogue avec celle-ci. Ils ont été distants avec les médiations autonomes et crédibles, et socialement reconnues, au détriment des associations plus proches du pouvoir. Autant d’éléments socio-politiques importants qui ont contribué à renforcer le scepticisme et les suspicions de la population »

Vivre avec la pandémie à Oran – Mohamed Mebtoul

« Décréter que le masque est obligatoire et attendre passivement que la société le mette en œuvre mécaniquement, en oubliant que les populations dans leur majorité n’ont depuis des décennies jamais été concernées par une prévention socio-sanitaire proche d’eux, étant habituées strictement à une médecine curative, c’est aboutir à des inversions à l’égard les mesures de protection, sans que ces détournements des normes sanitaires fassent l’objet d’une évaluation critique et rigoureuse dans une logique de concertation, qui ne se limite pas à des injonctions qui sont plus de l’ordre de la culpabilisation, en occultant les raisons profondes des personnes à l’égard des mesures de protection. Enfin, les décisions contradictoires à propos du port de masque dans la voiture, dévoilent les hésitations du pouvoir qui interdit le masque, puis revient sur sa décision, pour de nouveau autoriser la bavette, et enfin l’interdit ».

Vivre avec la pandémie à Oran – Mohamed Mebtoul

Un système « hospitalo-centré » moins efficace pour la prévention

Pour le chercheur, dans le système de soins algérien fondé principalement sur le « curatif » et non la prévention, les mesures de prévention répétées, « d’en haut », à la télévision ont moins d’impact lors d’une épidémie de l’ampleur de celle du Covid-19. « On n’a pas voulu engager une médecine au sein de la société. Notre système est hospitalo-centré. Or la pandémie est au coeur de la société », souligne-t-il. « Les médecins généralistes n’ont pas été mobilisés. La police a été mobilisée, en revanche, pour mettre des amendes et judiciariser le quotidien », ajoute-t-il.

« L’acquisition de la culture du risque est un processus indissociable de la reconnaissance de la citoyenneté politique. Celle-ci implique la participation active de la population dans la mise en œuvre de la « politique » de santé. Plus celle-ci se perçoit impliquée dans la régulation de la crise sanitaire, plus elle appréhende avec plus de rigueur les questions de santé publique. Or force est de relever que la prévention sanitaire a été refoulée depuis plusieurs décennies, comme une dimension marginale par les pouvoirs publics. Ils ont donné la priorité au modèle curatif, plus prestigieux, plus techniciste, donnant plus de sens à une médecine des organes en défaveur de celle de la personne. A contrario, la prévention socio-sanitaire recouvre une dimension démocratique. Elle est définie par des interactions de proximité avec les patients, permettant de les écouter, de remettre parfois en question les certitudes trop rapide des professionnels de santé »

Vivre avec la pandémie à Oran – Mohamed Mebtoul

Désir d’être acteur de la réponse sanitaire

Dans son rapport, le chercheur souligne l’impact d’une politique de sensibilisation « linéaire » et « distante » de la population : « La pandémie a fait ressortir les fragilités du système socio-politique enfermé sur ses privilèges (…) laissant la société fonctionner par elle-même », décrit le rapport. Pour Mohamed Mebtoul, la conséquence principale est que cela « crée du vide dans la société », une « situation de flottement », qui provoque un « laisser-aller » dans « l’application des mesures de protection ».

Ainsi, le respect rigoureux du couvre-feu varie en fonction du statut des personnes interrogées, de leur logement, de leur ennui ou lassitude. Le chercheur souligne qu’il n’y a pas, au sein des personnes interrogées, de « refus explicite » du port du masque : « L’explication est à plus à rechercher dans le temps trop court pour intérioriser rapidement cette habitude sanitaire face à la pluralité des corps (corps biologique, corps perçu et corps vécu) qui ne semblent pas toujours se situer ou se conjuguer au même niveau pour tous les groupes sociaux », explique le rapport.

Enfin, malgré la défiance, les personnes interrogées semblent avoir des suggestions pour améliorer la gestion de la pandémie. Certains évoquent la nécessité d’avoir plus de sensibilisation dans les quartiers, que les pouvoirs publics soient plus en contact avec la population, et affirment à contrario que les amendes ne permettront pas une meilleure prise de conscience des risques. Ainsi, Mohamed Mebtoul cite un témoin qui suggère la création d’équipes de prévention mêlant médecins et personnes connaissant les réalités sociales des quartiers. Le chercheur conclut que les personnes interrogées font part de leur désir d’être acteurs de l’action face à la pandémie.

Mohamed Mebtoul insiste : la pandémie n’est pas uniquement une question médicale, mais elle est aussi sociétale et politique. « Elle est transversale à toute la société. Elle questionne ses multiples vulnérabilités, ses valeurs, ses logiques d’acteurs déployées pour donner du sens à la maladie. Elle dévoile les inégalités socio-sanitaires au cours du confinement vécu de façon récurrente comme un enfermement (« la prison»). Un vécu tragique pour certains qui n’ont pas les ressources financières pour subvenir aux besoins de leur famille », conclut-il.


Si vous souhaitez témoigner, réagir ou apporter des précisions sur l’épidémie de Covid-19, vous pouvez écrire à : leila@twala.info