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Retour sur un intermède où l’APS a fait du « service public » de l’information

L’Agence Algérie Presse Services (APS) a connu une période faste entre octobre 1988 et 1990. Le climat de contestation politique avait d’une certaine manière “dépolitisé” (et dans le bon sens) le travail du journaliste. Que ce soit au niveau central ou dans les bureaux régionaux, les journalistes s’étaient libérés de l’auto-censure et “rapportaient”.


Photo : APS.

L’agence Algérie Presse Service (APS) a été lancée avec des moyens assez rudimentaires le 1er décembre 1961 à Tunis par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) où M’hamed Yazid, était ministre de l’information. C’est une agence de presse qui est d’emblée et clairement au « service de l’Etat » qui s’esquisse et dont la mission première à l’époque était de défendre la cause nationale auprès de l’opinion mondiale.

Le service de l’Etat est une mission consensuelle dans un pays nouvellement indépendant, il est pourtant, dans la pratique, au cœur de l’ambiguïté qui ne fera que s’accentuer au fil des ans. L’agence de presse a subi très fortement la tutelle des ministres de l’information (ou de la communication) qui la réduisaient à un simple instrument. Et qui ont entretenu, jusqu’à saturation, la confusion entre mission d’informer et propagande.

L’agence a été – et demeure – de ce fait clairement tributaire du contexte politique et de la conception que se fait le pouvoir de son rôle et de son rapport, tutélaire, à l’égard de la société. A l’indépendance, où les urgences sont tellement immenses, cette ambiguïté fondamentale, était plus ou moins masquée.

L’agence, comme le pays, était en phase de construction, dans une logique d’apprentissage. Les anciens de l’APS parlaient avec ferveur de ces moments épiques où l’agence “rentrait au pays” en s’installant d’abord à la Casbah d’Alger, puis à l’aéro-habitat (Telemly) puis, plus tard, au boulevard Che Guevara, avec vue imprenable sur le large.

Ces années euphoriques du lancement et d’apprentissage du métier de l’agencier vont peu à peu laisser la place à la routine d’un média au « service du pouvoir ». Les questionnements que les journalistes de l’APS pouvaient avoir – ils avaient à l’époque la possibilité de comparer car ils accédaient aux informations diffusées par les grandes agences mondiales, AP, Reuters, Afp, mais aussi Tass, Tanyug et d’autres – restaient à la marge.

La routine de l’exercice du métier, trop souvent réduit à un “pointage” de l’activité des responsables du gouvernement et du parti, pouvait parfois être rompue par des remontrances qui descendent du sens inverse de la hiérarchie jusqu’au journaliste, coupable d’avoir omis de mentionner la qualité de « membre suppléant » du comité central d’un responsable. L’information nationale était largement bridée, à l’APS encore plus puisque cataloguée “officielle”. Les journalistes étaient plus à l’aise dans les rubriques “internationale” et “culturelle” où la contrainte était moins pesante.

La routine durable du travail “d’information” de l’APS allait être perturbée – et dans le bon sens – après les évènements d’octobre 1988. Les journalistes de l’APS avaient couvert les émeutes en envoyant des informations précises et professionnelles sur le déroulement des évènements. Ils donnaient une image en temps réel de la propagation des émeutes. Ces informations qui n’étaient adressées qu’à des “spéciaux” (présidence, ministères) peuvent, si les archives ne sont pas perdues, être une illustration des capacités professionnelles de ces journalistes anonymes aussi bien au niveau central qu’au niveau local.

L’empreinte Ahcène-Djaballah Belkacem

La question du “service public”, déjà posée par le Mouvement des journalistes Algériens (MJA), allait devenir un souci majeur au sein de l’agence. M’hamed Yazid, le ministre de l’information qui a inauguré l’APS en 1961, homme brillant, cultivé et plein d’humour, donnait d’une certaine manière la voie durant cette période post-octobre en défendant les libertés et en martelant que le service de l’Etat n’était pas le service du pouvoir.

L’agence de presse va réellement connaître une période faste en octobre 1988 et 1990. Sa période faste ! Le climat de contestation politique va d’une certaine manière “dépolitiser” (et dans le bon sens) le travail du journaliste. Que ce soit au niveau central ou dans les bureaux régionaux, les journalistes se libèrent de l’auto-censure et “rapportent”. Ils se sont mis à faire du “service public”, c’est à dire, à être au service de la société et de l’Etat et non du “pouvoir”.

La situation défensive dans laquelle se trouvait le pouvoir, au lendemain des journées sanglantes d’octobre y est pour quelque chose. Le journaliste de l’agence, Sid Ali Benmechiche, chef du service reportage, faisait partie des victimes de la fusillade qui a eu lieu au niveau de la DGSN, le 10 octobre 1988. Cela rendait que plus forte la prégnance au sein de l’agence du débat ouvert par le MJA sur le service public.

Mais cette période faste au plan professionnel, l’agence la doit aussi à  Ahcène-Djaballah Belkacem qui la dirigeait depuis 1985. Avec beaucoup de flegme, il a laissé les journalistes travailler librement, dans l’esprit du service public. “Laissé les journalistes travailler”, cela semble peu, mais c’était littéralement une révolution. On le comprendra après son départ, fin 1990, où la reprise en main va se faire peu à peu.

L’intermède d’octobre allant d’octobre 1988 à 1990 reste la période où l’agence a été réellement au “service de l’Etat” en faisant avec professionnalisme son travail : informer sans commenter au lieu d’occulter et de surcharger le texte par des considérations politiques. La “dépolitisation” du métier d’informer était éminemment politique. L’agence devenait crédible. L’ENTV, dirigée par Abdou B, était dans le même trend et elle a réussi pendant un certain temps à amener les Algériens à “décrocher” des chaînes étrangères.

La question du service public, notion centrale pour les médias publics, a été malheureusement évacuée avec l’avènement de la presse privée et encore davantage avec la plongée dans les violences dans les années 90. On aura par la suite des ministres de la communication qui défendaient une présumée “ligne éditoriale de l’Etat” – qui n’a aucun sens – et qui en fait ramenaient, une fois de plus, les médias publics à des outils de propagande.  Cette vision étriquée du service de l’Etat discrédite “l’outil” comme le montre la récente publication d’une fausse information qui a valu, c’est une première, un démenti de l’ONU.

Il est clair qu’aujourd’hui on est bien loin de cet intermède post-octobre où à l’agence, comme dans le pays, les espérances d’un renouveau général dans la démocratie étaient fortes.